Refondation du système de santé : allons-nous enfin trouver la bonne trajectoire ?

« Ma Santé 2022 » apporte un cadre à cette refondation, mais il manque encore des éléments essentiels pour enclencher une trajectoire vertueuse.

Les professionnels de santé sortent épuisés et démotivés des vagues successives de la Covid-19 auxquelles ils sont parvenus à faire front. Sa résurgence actuelle laisse craindre qu’ils n’en n’aient toujours pas fini avec ce virus et ses variants. L’épidémie a brutalement mis en lumière l’état de notre organisation sanitaire qui n’a cessé de s’éroder au cours des dernières décennies, au fil de réformes à vocation essentiellement comptables. Pour contenir les dépenses de santé, les gouvernements successifs ont fermé des établissements, réduit le nombre de lits, rationnalisé les organisations et compressé les dépenses, dans des établissements déjà désorganisés par l’instauration des 35 heures. Avec le financement à l’activité, les hôpitaux sont devenus gestionnaires, multipliant des actes parfois inutiles et plaçant les professionnels dans des univers de plus en plus contraints. Sous-payés et en l’absence de conditions de travail satisfaisantes et favorisant leur épanouissement personnel, les soignants quittent le système, obligeant à fermer des lits tout en augmentant la pression sur les personnels restants.

A l’inverse d’autres pays comme l’Espagne ou le Portugal nous ne sommes jamais parvenus, jusqu’à présent, à construire une première ligne de santé primaire robuste, alors que le système était de plus en plus jugé trop hospitalo-centré. Des flux de patients n’ont cessé de se reporter sur les urgences hospitalières, là où la vocation de l’hôpital est d’assurer un rôle de recours pour des actes techniques complexes, dans un exercice programmé et des activités ambulatoires. Le vieillissement de la population, la progression des maladies chroniques, la prise en compte de nouveaux risques sanitaires liés à la dégradation de l’environnement exigent une prise en charge de proximité facilement accessible, une coordination des acteurs, une politique de prévention et une anticipation des besoins à la hauteur des défis auxquels nous sommes confrontés. C’est le cas à nos frontières, comme par exemple en Euskadi, au Pays Basque espagnol, où par exemple un centre de santé, à Hondarribia, assure le suivi d’une population de 20.000 habitants. Un dossier patient unique, documenté systématiquement, une équipe pluri-professionnelle, médecin, infirmière, sage-femme, aide-soignante, en liaison avec une assistante sociale ; une prise de rendez-vous à l’hôpital assuré depuis le centre de santé ; un suivi populationnel prédictif anticipant les besoins et les actions de prévention. Décloisonnement des professions, autonomie de gestion sur la base d’une politique régionale clairement établie, travail en équipe centré sur l’amélioration continue des soins, engagement ferme sur la recherche et l’innovation concourent à l’implication des professionnels. Allongement de la durée de vie, réduction de la mortalité prématurée, succès de la vaccination anti-covid en sont la résultante, avec un coût de dépenses de santé très inférieur à celui de la France.

Si nous avons la preuve qu’on peut faire autrement et mieux et qu’il est plus que temps de refonder un système à bout de souffle, la question est de savoir quelle est la bonne trajectoire pour y parvenir ? Le Ségur de la santé n’a fait que rattraper dix années de gels des salaires, sans changement significatif de classement par rapport à nos voisins européens, ni prospective démographique face à l’allongement de la durée de vie, aux besoins en professionnels, à l’évolution des métiers et à leur transformation par l’appropriation des   nouvelles technologies. Beaucoup reste à faire et cela s’inscrit obligatoirement dans la durée.  Mais ce qu’il faut surtout changer dès à présent, c’est la façon d’aborder le problème.  Ce n’est pas à l’hôpital, mais en amont, au domicile du patient, dans les cabinets médicaux et infirmiers de ville que se joue aujourd’hui la refondation du système de santé autour d’une approche territoriale réaliste des besoins collectif et individuel et d’un parcours du patient totalement repensé, garantissant la qualité et l’efficience des prises en charge et la soutenabilité économique durable de l’ensemble. Enclencher une trajectoire vertueuse de l’organisation des soins est à notre portée en remotivant les acteurs en quête de sens, en leur donnant plus de liberté et de marges de manœuvres, en leur permettant d’engager une réingénierie de leurs professions. Pour cela il est nécessaire d’aller vers une refonte des tâches cliniques et techniques et une revalorisation de toute la chaine de soins, en amont et en collaboration avec l’hôpital.

« Ma Santé 2022 » apporte un cadre à cette refondation, mais il manque encore des éléments essentiels pour enclencher une trajectoire vertueuse. La clé de cette transformation passe par le développement d’un nouveau maillage territorial, où l’implication des collectivités est de nature à répondre davantage aux besoins sociaux et sanitaires du territoire comme observé lors de la vaccination contre la Covid-19. La refonte des tâches, leur partage, et un esprit collaboratif entre tous les acteurs du soin au sens le plus large sont la clé de cette refondation.  Au cœur du dispositif l’objectif de mille CPTS (Communauté Professionnelle Territoriales de Santé) est différemment accueilli par les professionnels. Certaines fonctionnent et montrent que cette transformation peut s’opérer, mais que leur gestation est souvent longue et complexe, malgré les efforts des ARS à insuffler une politique de « l’aller vers » et à encourager, avec l’Assurance Maladie, de nombreuses formes de collaborations, en rémunérant en partie les temps de coordination nécessaires. Il faut donc aller encore beaucoup plus loin, en fonction des besoins spécifiques de chaque territoire, en laissant une grande marge d’initiatives aux acteurs et en créant un environnement favorable à leur développement, notamment en révisant la nomenclature des actes infirmiers, en renforçant l’usage de la télémédecine et en développant l’interopérabilité des outils numériques utilisés par les professionnels. Il faut tenir, car « Ma santé 2022 », complétée par la réponse à la demande d’évolution des métiers, donne le bon cap et une opportunité d’engager concrètement la refondation de notre système de santé.

Solange MENIVAL

Roland MICHEL

 

 

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