INTERVIEW Solange Ménival et Roland Michel, experts santé, analysent le plan hôpital
« Sud Ouest » Quel est votre premier sentiment face à ces mesures d’urgence pour l’hôpital ?
Solange Ménival D’abord la gravité de la situation dont elles témoignent. « Plan d’urgence et de sauvegarde de l’hôpital », « redonner de l’oxygène ». Les mots du Premier ministre sont forts et en phase avec la situation préoccupante que vivent médecins et professionnels hospitaliers. Trente ans de réformes sont en cause, elles ont contribué à la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui notre système de santé. Des choix antérieurs ont été contraires à la construction d’une réponse adaptée à l’évolution des besoins de santé des Français de ce début du XXIe siècle. Le gouvernement fait un effort budgétaire considérable, certes. Ces mesures sont-elles suffisantes ? Au regard du niveau des attentes la réponse est inévitablement mitigée.
Ces mesures sont-elles propres à « calmer » la situation de crise ?
Roland Michel Elles sont dans la continuité du plan « Ma santé 2022 ». Personne n’en conteste la pertinence, mais la plupart s’interroge sur le temps alloué pour conduire une transformation aussi ambitieuse, ainsi que sur les moyens mis en œuvre dans la durée pour la réaliser. Nous aurions besoin d’une programmation à dix ans, reposant sur un consensus dépassant les logiques majoritaires. Les engagements financiers, même sur trois ans, sont encore insuffisants. Pour répondre aux difficultés spécifiques de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP), leur prisme, pour parti très parisien, ne manquera pas d’interroger le reste de la France. Il n’y a pas le choc d’attractivité demandé, en particulier pour les infirmiers. Même si de nouveaux moyens sont mis sur la table à court et moyen termes, ils privilégient la reprise de la dette et l’investissement au détriment des ressources humaines. Si les efforts sont incontestables pour comprendre le changement de paradigme, les mesures ne sont pas suffisamment lisibles. Le gouvernement desserre l’étau budgétaire, sans remettre en cause la tarification à l’activité qui privilégie la valorisation financière au détriment de la pertinence des soins. C’est trop peu et peut-être trop tard pour enrayer l’hémorragie des professionnels de santé. La cible de la suppression des actes inutiles qui pèsent plusieurs dizaines de milliards d’euros, est bonne, mais la méthode n’y est pas. Par ailleurs, la réponse devrait se tourner vers là où elle se concentre : le territoire. Une réponse de proximité, pertinente et adaptée aux besoins des Français.
Vous avez élaboré des hypothèses pour l’avenir de notre système de santé ? Quel est le scénario possible d’après vous ?
S. Ménival et R. Michel Seule la France est à ce niveau de difficultés en Europe. La centralisation de son mode d’organisation et de décision en est la cause. Pour y remédier, il faut laisser davantage d’autonomie aux acteurs locaux, aussi aux ARS (Agences régionales de santé) pour organiser la transition et la transformation du système de santé depuis les régions. L’État doit renoncer à vouloir tout mettre en œuvre depuis Paris. Au sein de l’OCDE, aucun gouvernement ne pilote seul depuis sa capitale. Si cette option d’un changement de gouvernance n’est pas prise vite en compte, notre pays risque de continuer à s’enfoncer dans une crise sanitaire grave. Et pourrait être tenté par les dispositifs de ruptures offerts par les géants du numérique qui tissent leur toile sur les systèmes de santé mondiaux.
Recueilli par I. C.
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