A la veille de décisions très attendues, annoncées par le Président de la République en réponse aux importantes manifestations des professionnels de santé le 14 novembre 2019, le Think tank Stratégie-Innovations-Santé donne le fil rouge des trois scénarii qu’il a élaboré pour Forum Santé Avenir du journal Sud ouest. Les réponses de l’exécutif seront elles à la hauteur des enjeux et des défis à relever ?
Sommes-nous désormais sur la bonne voie pour répondre aux besoins de santé des Français ? Cette question redondante revient, réforme après réforme. Et s’il s’agit désormais de transformer, c’est que les modernisations et adaptations successives n’ont pas atteint leur but. C’est là où la prospective est utile, non pour y répondre, mais pour tenter d’éclairer l’avenir et de poser les enjeux et les choix. Si elle se nourrit utilement de rétrospective, sa fonction vigie intègre au fur et à mesure tous les nouveaux facteurs d’environnement. Ils n’ont jamais été aussi nombreux aujourd’hui. Nous avons retenu trois scénarios à l’horizon 2030, celui de l’Etat, celui des acteurs et celui des Gafam et des Batx. Ils visent à poser notre réflexion collective, sachant qu’ils sont naturellement interactifs et à nous interroger sur la perspective qui nous apparaît comme le plus souhaitable ou on contraire comme le plus redoutable, ou encore comme la plus ou la moins pertinente. Ainsi posée et après le temps de la réflexion, viennent ceux de choisir et d’agir.
Scénario 1 – L’Etat garant et gestionnaire de la santé des Français
Ce premier scénario repose aujourd’hui sur les orientations de la stratégie nationale de santé 2018-2022. Elle vise à répondre aux grands défis démographiques, épidémiologiques et sociétaux du 21e siècle : vieillissement de la population, chronicisation des maladies, dégradation de l’environnement, exposition à des risques infectieux. Elle s’inscrit dans un cadre économique et financier contraint par l’état des finances publiques et vise à garantir, dans la durée, la soutenabilité des dépenses de santé. Partant du constat d’importantes inégalités sociales et territoriales, elle entend à la fois mobiliser l’ensemble des politiques publiques en faveur de la santé, définir des stratégies d’actions adaptées aux besoins de chaque territoire, simplifier le cadre réglementaire et associer l’ensemble des parties prenantes. Sa mise en œuvre se développe autour de quatre axes complémentaires : prévention et promotion de la santé, lutte contre les inégalités sociales et territoriales de santé, qualité, sécurité et pertinence des parcours de soins, développement de l’innovation visant à transformer le système de santé. Ces quatre axes se déclinent en onze domaines d’action prioritaires et en 43 objectifs nationaux d’amélioration de la santé et de la protection sociale. Alimentation plus saine, réduction des conduites addictives, encouragement des activités physiques régulières, lutte contre les comportements à risques, prévention de la perte d’autonomie, promotion de l’hygiène, amélioration des conditions de travail, mobilisation des outils de prévention, dépistage précoce des maladies chroniques pour la partie prévention. Lever les obstacles économiques et sociaux d’accès aux droits et au système de soins, limiter le reste à charge, garantir la présence médicale et soignante en fonction des besoins des territoires, généraliser l’usage du numérique et faire confiance aux acteurs, constituent les principales dispositions pour réduire les inégalités territoriales. Structurer les soins primaires, assurer une gradation de l’offre hospitalière entre proximité et recours, améliorer l’accès aux soins au plus près des lieux de vie, garantir la transversalité et la continuité des parcours de santé mentale, développer une culture de la qualité et de la pertinence du parcours de soins, promouvoir le bon usage du médicament, adapter la formation initiale et continue des professionnelles de santé, sociaux et médico-sociaux, améliorer les condition de travail pour l’axe qualité et pertinence des prises en charge. Soutenir la recherche et l’innovation, faciliter l’émergence et la diffusion des organisations innovantes, accélérer l’innovation numérique, garantir l’accès aux nouveaux traitements, réaffirmer la place de l’usager dans le parcours de santé et accompagner les aidants, enfin, pour l’axe innovation et transformation de notre système de santé. Il s’agit désormais de traduire cette stratégie en action.
« Prendre soin de chacun », le Président de la République a présenté le 18 septembre 2018 le plan « Ma santé 2022 », avec l’ambition de transformer un système de santé « à bout de souffle »,
« Conçu pour une société différente, où on ne vivait pas si vieux et où l’on ne soignait que les maladies aigues ». Le projet de loi qui devrait être voté avant l’été 2019, après avoir passé le cap de multiples amendements, entend répondre au défi de la prise en charge de la chronicisation des maladies et mettre en œuvre le virage ambulatoire. Il s’articule autour de trois grands domaines : la réforme des parcours de formation et des carrières des professionnels de santé ; le développement d’un collectif de soins et d’une structuration de l’offre de soins ; la transformation numérique du système de santé et des pratiques des soignants. Parmi ses mesures phares : la suppression du Numerus Clausus, qui vise à une augmentation de 20% du nombre de médecins formés ; la re-certification régulière des médecins ; le déploiement de 1000 Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) ; la révision de la carte hospitalière instituant, par ordonnance, la création de 500 à 600 hôpitaux de proximité et prévoyant une intégration renforcée des Groupements Hospitaliers de Territoires (GHT) ; la création d’un espace numérique de santé accessible à chacun regroupant DMP, carnet de santé et carnet de vaccination ; le développement de l’E. prescriptionet l’élargissement de la télémédecine à la télésanté, ouvrant son accès à des professionnels non médecins. Il trouvera sa traduction budgétaire dans le PLFSS 2020 et les suivants.
Ce qui interroge
S’il existe un consensus assez largement partagé sur les axes de la stratégie nationale de santé et sur les orientations de « Ma Santé 2022 » dont on ne peut évidemment que souhaiter qu’ils se concrétisent et aboutissent aux résultats escomptés, la question est de savoir si la future Loi est à la hauteur de nos défis français en matière de santé ? Rien n’est simple pour chaque gouvernement qui cherche à les relever, tant il est héritier des décisions prises ou des renoncements de ses prédécesseurs, de même que ses choix engagent ses successeurs. Temps longs des réformes et temps courts des échéances électorales se confrontent. Une analyse rétrospective le montre bien [1] Là où cela nécessitait une beaucoup plus grande agilité, notre système de santé s’est révélé jusqu’à présent trop lourd, trop lent et trop technocratique. C’est sans doute pour cela qu’il peine tant à passer le virage ambulatoire et de la prise en charge de la chronicisation des maladies. En quoi la politique à venir sera-t-elle plus efficace que celles d’hier ? Une mesure symbolique comme la suppression du Numérus Clausus n’aura d’effets que dans les 10 ans à venir. Les projets territoriaux de santé, les CPTS, la transformation numérique constituent des moyens pertinents, mais où est la vision ? S’il est normal qu’un gouvernement se fixe un plan pour la santé qui s’achève à la fin de sa mandature, cela interroge par contre qu’il en soit de même pour la stratégie nationale de santé, dont l’échéance devrait être beaucoup plus naturellement 2030, tant cette temporalité est nécessaire, sinon indispensable, pour atteindre les 43 objectifs nationaux qu’elle se fixe. Cela nécessite un plan d’investissements dans le long terme, alors que l’annualité budgétaire demeure de façon intangible et que la réduction de la dépense publique constitue une préoccupation gouvernementale majeure. Une note, très récente, de France stratégie[2] indique qu’il est possible de la réduire de 3 points de PIB en 5 ans en faisant des économies sur les retraites, la santé et les dépenses sociales. Peut-on gagner en efficience en rognant simplement les budgets ?
Scénario 2 – Confiance aux acteurs : une gouvernance de la santé repensée pour les territoires
Pendant que les parlementaires débattent de « Ma santé 2022 », les citoyens expriment des préoccupations de terrain sans savoir, ni même souvent croire, que la loi va apporter la réponse à leurs attentes. Alors que tous s’accordent sur la bonne qualité des soins, dès lors que l’on est pris en charge, ils déplorent toujours plus de désertification médicale, de délais d’accès aux consultations, d’attentes aux urgences. Quelque-soit l’avis des sociétés savantes, les fermetures de maternité sont vécues comme un drame par les populations. Les élus territoriaux le savent bien et doivent s’impliquer de plus en plus dans un domaine qui ne fait pas partie de leurs attributions. Personne ne doute de la volonté de bien faire des gouvernements successifs, ni de celle des Agences Régionales de Santé. En 2017, la France a consacré à la santé 199,3 milliards d’euros, soit 11,5 % de son PIB et 1,1 point de plus que la moyenne des pays de l’Union Européenne à 15[3]. Ce n’est donc pas, à priori, une question de moyens. Des nations voisines, comme l’Espagne[4], atteignent désormais un niveau technique comparable au nôtre et voient la santé de leurs populations s’améliorer de façon très significative, tout en dépensant nettement moins que nous. Est-ce un problème de pertinence des soins, dont l’OCDE estime qu’elle permettrait de récupérer 35 à 40 milliards d’euros ? Est-ce une question de modèle de référence dans une culture essentiellement tournée vers le soin et non vers le maintien en bonne santé ? Point commun à l’ensemble de nos voisins européens, leur système de santé est décentralisé. Et si la remise en cause du caractère de plus en plus centralisé et cloisonné du nôtre constituait le véritable facteur de transformation[5] que nous espérons tous ? C’est le point de départ de ce scénario : repenser la gouvernance de notre système de santé autour d’un principe d’organisation beaucoup moins pyramidal, fait de subsidiarité et de confiance dans les acteurs. C’est reconnaître les spécificités territoriales, c’est suivre les recommandations de l’OMS qui considère qu’on ne peut pas bien gérer la santé d’une population au-delà de 6 à 8 millions d’habitants, c’est penser qu’en donnant une véritable autonomie aux acteurs, nous allons rendre notre système plus agile, plus à même d’intégrer les innovations et d’améliorer notre santé. Cela suppose une redistribution des rôles, de nouvelles règles et de nouveaux principes d’organisation. Qui sont les acteurs ? L’Etat bien sûr, dont on n’attendrait alors de lui qu’il soit beaucoup plus stratège, qu’il donne le cap, en produisant une vision à beaucoup plus long terme de ce vers quoi nous devons tendre en matière de santé pour les Français, à l’horizon 2030 et au-delà. Qu’il produise aussi les repères de valeurs, de règles et de rôles apportant aux autres acteurs les conditions de leur autonomie et de leurs initiatives, tout en respectant un cadre d’ensemble. Compte-tenu du caractère extrêmement transversal de la santé et de ses interactions directes avec le social, le logement, les mobilités, l’aménagement du territoire, l’éducation, la recherche, le développement économique, les collectivités territoriales (Conseils régionaux et départementaux, communautés d’agglomération, intercommunalités) ont vocation à s’y impliquer chacune pour leurs parts, ce qui suppose de revisiter la Loi NOTRe [6] et d’envisager un nouvel acte de décentralisation. Institutions et collectivités devraient alors repenser leur gouvernance et leurs financements. Il ne s’agit pas de faire la même chose partout, mais de répondre aux besoins et aux spécificités territoriales autour d’un même objectif d’ensemble : améliorer la santé. C’est dans ce cadre que tous les autres acteurs ont vocation à s’impliquer, en ouvrant une place plus large à leurs capacités d’initiatives et d’innovations, dans un environnement qui vit une mutation sans précédent. Professionnels médicaux et paramédicaux ; en élargissant le rôle des soignants et en recentrant celui des médecins sur leur cœur de compétence ; établissements de santé et du médico-social, quelques soient leurs statuts, qui doivent projeter à long terme la transformation de leurs rôles, de leurs métiers, de leurs conditions d’exercice et de leurs interactions, pour pouvoir s’y adapter. L’Université et les opérateurs de toutes sortes : mutuelles, assurances, banques, industriels ont vocation à intervenir dans l’écosystème de la santé dont la transformation suppose de mobiliser des ressources et des compétences complémentaires et évolutives et d’investir dans la durée.
Ce qui interroge
Les Français sont-ils prêts à sauter le pas ? La conscience des enjeux est-elle suffisante pour qu’acteurs publics et population envisagent favorablement de quitter un système centralisé et administré pour s’inscrire dans une approche en réseau et décentralisée de la santé ? Sur le fond, on connait à priori les deux principales objections. Pour l’Etat c’est la perte de contrôle à la fois organisationnelle et financière d’un modèle dont il est garant et du deuxième poste de dépenses publiques. Pour beaucoup de tenants des valeurs républicaines, c’est aussi le risque de remise en cause des principes d’égalité et de solidarité. Centralisation, décentralisation, quel est le modèle le plus efficace ? Faut-il toujours plus de centralité et de contrôle pour pouvoir répondre à toujours plus de complexité ou partir des réalités du terrain pour mieux s’adapter, faire jouer la subsidiarité et faire confiance aux acteurs ? Il est permis de s’interroger, à un moment où les inégalités d’accès aux soins n’ont jamais été aussi grandes et où notre système s’avère plus coûteux et moins performant que d’autres, en termes d’amélioration de la santé de la population. On continue à bien soigner, mais notre système de prévention globale demeure très déficient. N’est-ce pourtant pas là que l’on peut espérer progresser le mieux entre résultat de santé publique et maîtrise des dépenses ? Quant à la solidarité, ne serait-ce pas l’absence de montée en efficience du système de santé, à un moment de fort vieillissement de la population et de faible croissance économique, qui pourrait le plus la remettre en cause ? Sur la forme rien n’est simple, tant il s’agit d’une transformation inédite pour la France. L’Etat est-il prêt à devenir plus stratège et moins interventionniste ? Veut-il et est-il en mesure de donner des marges de manœuvre nouvelles aux collectivités territoriales ? Elles- mêmes le souhaitent-elles dans leur majorité ? Un consensus politique suffisant peut-il se dégager pour un acte de décentralisation impliquant la santé ? Quelles oppositions peuvent venir de la technostructure qui l’a gérée jusqu’à présent ? Comment s’organiser alors et quelle articulation opérer entre les différents échelons territoriaux ? La région serait-elle amenée à jouer un rôle de chef de file ? Mais dans ce cas, le regroupement des régions, tel qu’il a été opéré par la Loi NOTRe est-il compatible ? L’échelon départemental n’est-il pas plus pertinent en matière de prise en charge du vieillissement et des parcours de vie ? Faut-il décliner l’ONDAM en ORDAM ? Quelle péréquation opérer pour assurer l’égalité entre territoires ? Comment décliner une politique territoriale de santé ? Quel rôle pour les ARS et quelles relations avec les collectivités territoriales ? Quelle répartition des rôles entre Université et Régions pour les formations paramédicales ? Quelles interactions avec les formations sociales et médico-sociales ? Quelles innovations prioriser ? Faut-il changer le statut des hôpitaux publics ? Les questions sont multiples et nécessitent naturellement réflexions et débat en profondeur. L’important est qu’une telle hypothèse existe et soit envisagée sans exclusion à priori. Ce qui est en cause, c’est la capacité de notre système de santé à répondre efficacement et durablement aux enjeux du 21e siècle et aux attentes des Français.
Scénario 3 – La santé : un marché ouvert et prometteur pour les GAFAM et les BATX[7]
En charge de la création de l’Espace Numérique de Santé (ENS) pour chaque français, prévu dans la Loi « Ma Santé 2022 », Dominique Pon[8] en pose clairement l’enjeu : « Il faut qu’on y arrive, car si on échoue, les Google et autre GAFA nous écraseront et prendront toute la place » Ainsi ce scénario, considéré il y a encore peu de temps comme relevant de la science- fiction, se trouve désormais ouvertement posé dans le cadre du déploiement de la politique gouvernementale. Aucune de ces entreprises mondiales ne cache ses ambitions en matière de santé, tant le marché est prometteur et que chacun cherche à se positionner par rapport à l’autre. Amazon, dont le chiffre d’affaire cumulé des dix dernières années dépasse les 1000 milliards de dollars, s’appuie sur son expérience de
l’E. commerce grand public et professionnel, du développement de l’IA et du Cloud computing pour développer une offre de pharmacie en ligne, d’assurance santé et de stockage et d’analyse de données. Ce n’est sans doute qu’un début. Plateforme d’accès interactives, compétence logistique, gestion d’entrepôts, E. paiement, cryptomonnaie, reconnaissance faciale, blockchain, Data centers, publicité en ligne, contrats gouvernementaux et capacités d’investissements, à donner le vertige au plus grand nombre des Etats, permettent à Amazon d’afficher les plus grandes ambitions dans le domaine de la santé, comme dans d’autres. Engranger et traiter de la Data est au cœur de son dispositif et toutes les voies lui sont ouvertes pour y parvenir. Ainsi Amazon, comme Alibaba sont désormais partenaires des grandes enseignes de la distribution française, pour qui ils assurent la gestion des commandes et la livraison des achats aux clients. Difficile d’imaginer sans inquiétude un même opérateur qui, dans un futur proche, connaitrait nos habitudes de consommation, les médicaments qui nous traitent et qui en plus gèrerait notre assurance santé ! Encore plus angoissant de penser que non seulement GAFAM et BATX connaissent tout de nous, mais qu’en plus nos données personnelles, détenues dans leurs cloud, puissent ne plus nous être accessibles que par abonnement. L’ensemble de nos données internet circulent sous l’océan par des centaines de câbles sous-marins. Faute de développement d’une politique de localisation, 80% d’entre elles transitent par les Etats-Unis. Au-delà d’une question de sécurité pour les Etats européens, comme de l’ensemble des pays du monde, le fait nouveaux est que ce sont désormais les GAFAM qui privatisent les nouveaux réseaux. Ils déploient leurs propres câbles pour moins dépendre des télécoms et parce-que la neutralité du Net ne s’applique pas aux réseaux internationaux. Dernier en date, le câble de dernière génération Marea, développé par Facebook et Microsoft, représente à lui tout seul 50% des câbles déjà déployés dans l’Atlantique. La Chine fait de même et les BATX s’apprêtent à ouvrir des datas centers en Europe, connectés avec leurs propres câbles[9]. Les uns et les autres tissent leurs toiles sur le monde et comme ils l’ont déjà fait pour la distribution, les réservations d’hôtel, les locations d’appartements, ils sont tout à fait en mesure de redessiner notre système de santé. Nous sommes d’autant plus vulnérables si les réponses aux besoins de prise en charge ne sont pas satisfaites et que nos organisations n’évoluent pas au rythme des évolutions technologiques. Au cours des six derniers mois, seules 8 000 téléconsultations ont été remboursées par l’assurance maladie, alors que plus de 100 000 ont été prises en charge par les complémentaires santé. On voit vite ce que cela pourrait donner si GAFAM et BATX investissaient le marché. Nos smartphones et nos montres connectées sont autant de modes d’entrée dans la toile. Par nos requêtes, nos échanges, nos déplacements, nous produisons de la données individuelle et collectives en continu. Nous sommes sollicités pour en donner plus encore : nos activités, notre nutrition, notre sommeil, notre suivi cardiovasculaire, nos dossiers médicaux, nos résultats biologiques. Il suffirait ensuite d’une fine couche logicielle sur le système pour contrôler et ubériser l’ensemble. Le marché idéal.
Ce qui interroge
Notre santé est-elle prête pour autant à tomber dans la « Google du loup » [10] ? Au mieux il ne nous reste plus beaucoup de temps et au pire comment éviter que le pied que nous avons déjà dedans fasse que nous n’en perdions pas définitivement le contrôle, face à des multinationales dominantes qui cherchent à imposer leurs règles commerciales et éthiques ? Au plan national, si l’enjeu est posé, les moyens et les conditions de réalisation sont-ils à la hauteur avec la mise en œuvre du Health Data Hub ? A-t-on vraiment tiré parti des leçons du passé : les invraisemblables errements autour de la création du dossier patient informatisé ; le déploiement de systèmes d’information hospitaliers sans obligation d’une interopérabilité commune ? N’existe-t-il pas, par ailleurs, la tentation, voire l’intention, au nom de l’efficience et de la bonne maîtrise des dépenses, de confier aux GAFAM ou aux BATX des sous-traitance logistiques, comme par exemple la distribution des médicaments à Amazon ? Quant à l’Europe, qu’en est-il de sa volonté d’affirmer sa souveraineté numérique ? Le CESE vient de préconiser [11] de renforcer la régulation des plateformes numériques à l’échelle de l’UE et de favoriser l’émergence d’un écosystème numérique conforme à ses principes et à ses valeurs ? La France est-elle prête et en mesure de se faire entendre au bon niveau pour aller dans ce sens ?
A chacun et à nous tous, désormais, d’enrichir et de prolonger la réflexion. Ces trois scénarios sont concomitants et le quatrième scénario serait celui qui les intégrerait. Il se déroulera, d’une manière ou d’une autre, dans notre futur proche. Mais dans quelles proportions entre le tout Etat et le tout Gafa ? Que voulons-nous collectivement et à quoi tenons-nous ? Les lois du marché se nourrissent de la perte du commun et de l’individualisation de la société et il en est de la santé comme de notre devenir collectif ; ou bien nous gardons la main, ou bien nous laissons faire. Si nous voulons faire rimer santé avec société, face aux multiples enjeux du futur, d’autres la regarde comme un marché sans limite, dont nous-même serions les objets. Après il faut se demander, face à ce gigantesque défi que nous pose les Gafa et les Batx, quel est la démarche stratégique la plus à même de conduire les transformations nécessaires, tout en gardant le contrôle ?
[1] Cf. article « Entre rétrospective et prospective : quelles clés pour réussir la transformation du système de santé à l’horizon 2030 ? » p. …
[2] https://www.strategie.gouv.fur/publications/reduire-poids-de-depense-publique
[3] https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/
[4] https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/les-espagnols-ont-la-meilleure-sante-du-monde-993799
[5] Cf. article « Entre rétrospective et prospective : quelles clés pour réussir la transformation du système de santé à l’horizon 2030 ? » p. …
[6] https://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/files/Annexe_1_Tableau_des_competences_Communes___Departements___Regions_14012016.pdf
[7] Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft et leurs concurrents Chinois : Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi
[8] https://www.liberation.fr/france/2019/03/15/dominique-pon-a-votre-sante_1715434
[9] https://usbeketrica.com/article/cables-sous-marins-internet-risques-tension-reels
[10] « Dans la Google du loup » – Christine Kerdellant – Editions Plon
[11] https://www.lecese.fr/travaux-publies/pour-une-politique-de-souverainete-europeenne-du-numerique
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